LES JOUTES NAUTIQUES
Méthodes Lyonnaise et Givordine
LA JOUTE, SPORT PASSION
La joute Lyonnaise et Givordine fait incontestablement partie du patrimoine de notre fleuve. Héritage des mariniers du Rhône, elle a peu a peu évolué, le jeu se muant progressivement en un sport a part entière.
Loin du sport-business, l'esprit de camaraderie est le maitre mot des jouteurs qui, s'ils défendent leurs couleurs avec acharnement, ne se laissent en aucun cas aller a des débordements qui font hélas la une des quotidiens et salissent l'image du sport.
Il faut connaitre l'excitation de l'athlète montant sur le tabagnon, la sensation que procure une lance qui cintre, cède parfois, pour vraiment comprendre ce sport.
Souvent, le spectateur frémit avant l'affrontement de deux grands champions, sachant qu'il va assister à quelque chose d'impressionnant. En effet, les lances craqueront, peut-être que les bateaux s'écarteront, puis un des deux adversaires s'inclinera sous les applaudissements du public heureux d'avoir vu un spectacle incomparable.
La joute est le sport des rives rhodaniennes par excellence.
HISTORIQUE
Les plus anciennes représentations de joutes nautiques parvenues jusqu'a nous se trouvent sur des bas reliefs datant de l'ancien empire Egyptiens (III a VI dynasties, 2780 a 2380 avant J.C), il semblerai pourtant s'agir d'avantage de rixe plutôt que de loisirs, vu que l'affrontement se déroulait sans aucunes protections, avec des gaffes munies de ferrures a deux pointes a leurs extrémités.
Après le témoignage égyptien, s'ensuivi un premier "trou noir", ne retrouvant plus de traces de joutes nautiques jusqu'a la grece antique. Civilisation qui aurai ensuite introduit cette pratique en Sicile ou les latins, grands amateurs de spectacles en tous genres, l'adoptèrent d'emblée.
En effet, on retrouve un nombre incalculable de traces de joutes sous l'empire Romain, notamment lors des "naumachies". Il s'agissait de spectacles nautiques se déroulant dans des arènes conçues pour être mises en eau.
Selon toute vraisemblance, les romains ont diffusé les joutes dans tout leur empire, dont une description de fête a Strasbourg en 303, en l'honneur de l'empereur Dioclétien.
L'époque romaine laisse la place a un second "trou noir" de sept siècles, car il faut attendre le XII siècle pour réentendre parler de joutes nautiques. Il est possible qu'elle est survécut durant cette période au sein de communauté proche de l'eau, mais il n'en fut fait mention nulle part.
Le plus ancien document de l'époque post-latine fait état d'un tournoi de joute a Lyon le 2 juin 1177, pour la commémoration du millénaire des martyrs chrétiens de Lyon et de Vienne.
Un document nous rapporte aussi qu' "en 1270 a Aigues-Mortes les croisés, soldats et marins, attendant l'embarquement pour la terre sainte avec le roi Louis IX (Saint Louis), s'affrontaient en combats singuliers montés sur des embarcations légères".
Les documents écrits ou illustrés se multiplient à partir du XV siècle, faisant état de joute en Sologne, a Toulon, et plus généralement sur tout le littoral méditerranéen.
En ce qui concerne la région Rhône-Alpe, on lit que le 13 avril 1507, "les pêcheurs de St Vincent (Lyon) tirèrent l'oye et joustèrent, sur la Saône a St-Jean pour distraire la reine Anne de Bretagne et ses gens". En 1536, un spectacle de joute est donné par les mariniers a St Just St Rambert (Loire), en l'honneur de François I. On joute aussi sur la Saône en 1548 pour Henri II et Catherine de Médicis.
Il serait trop ardu de citer les innombrables témoignages qui nous sont parvenus, aussi nous dirons seulement que la joute a conservé sa dimension festive durant les différentes époques qu'elle a traversé
Le XIX siècle est un tournant dans l'histoire des joutes nautiques. Des sociétés se créent.
A l'origine, le but des sociétés n'était pas prioritairement la pratique des joutes nautiques. Il s'agissait de mariniers qui se groupait pour porter secours aux riverains lors des fréquentes crues du Rhône. Ils pratiquaient les joutes lors des fêtes locales, perpétuant ainsi les gestes transmis de générations en générations dans cette fière corporation d'hommes du fleuve.
En 1899, nait l'Union fédérale des Sociétés francaises de natation et de sauvetage, première structure accueillant les sociétés de sauvetage. L'Union organisera en 1901 le premier championnat de France, certes très rudimentaire, sur le lac de la tête d'or a Lyon.
En1905, l'Union est remplacée par la Fédération nationale des sociétés de natation et de sauvetage, qui organise elle aussi des championnats de France...régionaux!
C'est entre les deux guerres que se sont développées les compétitions, bénéficiant de l'évolution des moyens de transports. Il a fallu alors harmoniser règlements et matériels, faisant ainsi un grand pas vers la sportivisation de ce jeu de mariniers.
Il faudra attendre 1960 pour que la joute soit officiellement reconnue comme un sport par le gouvernement. La fédération actuelle (Fédération francaise de Joute et de Sauvetage nautique) naquit en 1971 suite a un profond désaccord avec l'ancienne fédération, qui ne développait pas assez la joute en tant que sport. Cette date marque aussi l'agrément jeunesse et sport, consacrant ainsi véritablement la joute en tant que sport.
LA JOUTE A SERRIERES
La société des sauveteurs de Serrières fût enregistrée en préfecture le 22 Août 1896, mais fût créée le 1 octobre 1895. Son président-fondateur était Jules Roche, député-maire de la commune et ancien ministre de l’industrie et des colonies. A l’origine, le but de la société n’était pas exclusivement la pratique des joutes nautiques, même s'il en est explicitement fait mention dans les statuts originels, mais également de porter secours aux riverains lors des fréquentes crues du Rhône, ainsi que l’initiation des jeunes du village à la natation. Les sauveteurs eurent bien vite à faire montre de leurs compétences lors des crues exceptionnelles de novembre 1896. Les joutes, jeu de mariniers par excellence, étaient pratiquées lors des fêtes et vogues environnantes. La société des sauveteurs était très hiérarchisée, avec un nombre limité de 40 membres actifs, des membres auxiliaires et des membres honoraires, ou « bienfaiteurs ». Lorsqu’une place de membre actif se libérait par décès, démission ou radiation de son possesseur, un nouveau membre était choisi parmi les auxiliaires. Son incorporation était soumise au vote, à l'unanimité du bureau. L’uniforme se composait d’un veston croisé « gros bleu » avec passe-poil d’argent ou d’or pour les membres actifs, et deux ancres « or » au revers pour les membres du bureau. Les sauveteurs jouissaient alors d’un prestige considérable au sein de la ville. A l’époque, les bateaux de joute portaient des noms : le « Jean Bart » et le « Courbet ». La barque de sauvetage se nommait quant à elle le « Surcouf ». On retrouve mention dès 1896 de délégations allant jouter à Rive de Gier, Saint Etienne, Vernaison, Saint Vallier, La Mulatière, Tournon... ainsi que la réception des jouteurs de la région lors de la vogue locale fin Août. La société se modernisa peu à peu pendant la première moitié du XXème siècle. Après Jules Roche, elle fût présidée par Jules Vallet, puis successivement par Louis Brottier de 1919 à 1929, Léon Bert de 1929 à 1942, Jean Royer de 1942 à 1952, René Marlhoux de 1952 à 1960, Aimé Charrin de 1960 à 1968, Maurice Michel de 1968 à 1984, Alain Richard de 1984 à 1989, Jean Chavanon de 1989 à 1993, Patrice Buffa de 1993 à 2001, et enfin par Denis Richard de 2001 à aujourd’hui. La commune vit aussi plusieurs finales du championnat de France en 1954, 1968, 1979, 1988, 1996 et 2006, ainsi que la finale de la coupe de France en 1985. Elle accueillera de nouveau cette compétition en 2011.
Pour les serrièrois, les joutes sportives débutèrent après la seconde guerre mondiale. Auparavant, les jouteurs ne participaient pas au championnat de France qui existait pourtant depuis 1933. Même ensuite, seuls les qualifiés et quelques accompagnateurs se rendaient aux finales du championnat, car elles se déroulaient le même jour que la vogue serrièroise.
Dès leurs premières années, les jouteurs serrièrois se dotèrent d'un écrin à la mesure de leur réputation naissante. Un véritable stade nautique fût érigé en plein cœur du village sous l’impulsion de Jules Roche, vraisemblablement en même temps que le quai, cet à dire vers 1889. Il comportait à l’ origine deux travées. Il fut agrandi d’une troisième, puis d’une quatrième en 1948. Les aménagements de la partie basse, de la plateforme d’arbitrage, du promontoire d’embarquement et du percement de la digue datent des années 1970. Ce bassin reste encore aujourd'hui une référence dans le monde de la joute, avec plus de 4000 places assises permanentes et une visibilité exceptionnelle.
Le premier champion de France serrièrois fût Jean Chavanon (père) en 1945 et 1947. Il ne se doutait peut-être pas à l’époque qu’il inaugurait un palmarès si conséquent, où beaucoup de ses descendants figurent en bonne place. Rapidement, une génération domina la joute de ce début des années 50. Dès 1948, François Valverdet, 20 ans, s’imposa en catégorie léger. Il récidiva en 1952 et 1953. Roger Michel fut sacré chez les lourds en 1949, et Marcel Torgue s’empara de 4 titres en mi-lourd entre 1952 et 1955. Joseph Fanget et Claude Charrin triomphaient quant à eux dans une catégorie junior qui en était à ses balbutiements. S’ajoutait à ceux-là Edmond Vierroux, transfuge de la société disparue des jouteurs sablonnais, et « Doudou » Rosier, tous deux jamais sacrés malgré des qualités certaines, et voila les pionniers qui installèrent d’emblée Serrières au sommet du monde de la joute. Cette génération orienta à jamais le destin sportif de la société, instillant le goût de la victoire et la saine exigence de résultats à leurs successeurs.
Les années 60 furent moins denses, mais virent les prouesses de deux phénomènes: Gilbert Polly, sacré deux fois en junior lourd et décrit de tous comme une force de la nature, et surtout Jean-Jean Chavanon, six maillots tricolores entre 1960 et 1965. Jean-Jean jouta encore de nombreuses années après ses victoires, avant de devenir et de rester encore aujourd’hui le lien entre toutes les générations, l’infatigable recruteur, l’inénarrable conseiller et l’inimitable vice-président d’honneur des sauveteurs… Si l’âme de la société devait avoir un nom, elle s’appellerait Jean-Jean Chavanon.
Les années 1970 virent l’éclosion d’une nouvelle équipe qui fît bientôt des merveilles. Ce groupe était mené par deux leaders charismatiques, aux styles très différents l’un de l’autre mais qui ensemble emmenèrent Serrières très loin : Manuel Léonis, qui s’imposa sept fois, en léger, et Yves Moras, dix-neuf titres (record national), en catégorie lourd. Manuel était un précurseur, véritable technicien de la joute. Yves, quant à lui, faisait montre d’une puissance physique hors pair. Leur domination s’étala jusqu'à la fin des années 80, avec dans leurs sillages des champions comme Louis Dugua, Gilbert Tommasini, Christian Gouteron, Jean-Christophe Chavanon ou Louis Meyran. D’autres excellents jouteurs de ces années ne parvinrent pas au titre suprême, mais participèrent aux nombreuses victoires de cette période : Patrice Buffa, Franck Heald, Alex Rosier, Frédéric Rapenne…
1981 vît l’apparition d’une nouvelle compétition qui passionna les serrièrois : la « Coupe de France », qui sacre chaque année un club dans une compétition par équipe à élimination directe.
Dès la première édition, les serrièrois qualifièrent leurs deux équipes pour la finale (une en lyonnaise et une en givordine). Ils s’inclinèrent hélas contre la redoutable armada de La Mulatière et Loire-sur-Rhône. L’année suivante, ils prirent leur revanche et remportèrent la toute première coupe de France de la société. S’ensuivirent quelques années de disette dans cette compétition. Les serrièrois gagnaient souvent en championnat, s’imposaient régulièrement lors des challenges régionaux contre les deux autres « ogres », La Mulatière et le St Romain des Iles des frères Bas, mais rataient toujours de peu la première place en coupe.
Ce fût en 1988 et 1989 que cette anomalie s’estompa. Derrière les mythiques « anciens » Manu Léonis et Yves Moras s’aligna une équipe de jeunes ultra-performante : Denis Richard, Raphaël Richard, Olivier Bellevegue, Raphaël Ruillère… Ce groupe signa deux victoires consécutives et ramena Serrières à la première place dans cette compétition qui, disait-on à l’époque, ne réussissait pas aux ardéchois.
Les années suivantes furent des saisons de transition. De mauvaises blessures, des circonstances diverses empêchèrent plusieurs jeunes d’imposer sur la durée leur potentiel pourtant conséquent. La coupe de France fût tout de même remportée en 1994, par un amalgame réussi d’anciens et de jeunes espoirs qui firent bientôt parler d’eux.
En effet, une génération dorée murissait au sein des sauveteurs de Serrières. Ce groupe était majoritairement composé de fils de jouteurs, mais également d’éléments talentueux issus d’une politique de formation exemplaire. Ces jeunes s’imposèrent rapidement comme titulaires dans toutes les catégories. En 1998, l’équipe aurait pu sembler trop inexpérimentée à un observateur : le plus âgé de l’équipe avait 23 ans, le sénior moyen était un junior troisième année, les juniors étaient de première ou seconde année… Et pourtant, une redoutable machine à gagner naquit avec ce groupe qui s’imposa en coupe de France cette année-là… ainsi que les trois années suivantes: Mathieu Tommasini, Micael Grail, Nicolas Tommasini, Francis Léonis, Simon Buffa, Stéphane Buffa, Jean-Christophe Moras, Rémy Astier, Lilian Grange, Anthony Pommier… Ils dominèrent la fin des années 90 et les années 2000, remportant sept coupes de France entre 1998 et 2007.
Aujourd’hui, plus que jamais, les jouteurs serrièrois regardent l’avenir. Une jeune équipe grandit peu à peu. Brian Parizet, Jimmy Ageron, Benjamin Torgue, Guillaume Boissonnet ont déjà été titrés au moins une fois… d’autres en ont le potentiel, et les « survivants » de la génération « dorée » sont encore là pour compléter une équipe qui a encore fière allure.
A L’aube de la saison 2010, les serrièrois totalisent tous les records : 99 titres de champion de France, 11 coupes de France et 25 participations aux phases finales (sur 28), 14 trophées des clubs (classement des clubs sur les challenges de la saison), 37 premières places au « classement du jouteur » (classement individuel sur les challenges)…
De tous temps, Serrières a été une référence en matière de joute, et cela a forgé l’âme de la société… Mais c’est aussi infiniment plus que cela. Les sauveteurs de Serrières sont également une famille, une culture, une vision… Une identité inaliénable.
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